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Où sont les Arabes?

Anonyme, Dimanche, Mai 18, 2003 - 08:57

Zehira Houfani


« Il n’y a pas d’Arabe », murmura d’une voix étouffée, Bassem, un jeune Irakien de 21 ans, que je tentai d’interroger sur les victimes du bombardement américain du 28 mars 2003.


« Il n’y a pas d’Arabe », murmura d’une voix étouffée, Bassem, un jeune Irakien de 21 ans, que je tentai d’interroger sur les victimes du bombardement américain de ce 28 mars 2003.

"Al-Nasr", un marché populeux dans un horizon abandonné à la misère et la détresse qui y règnent à perte de vue. C’est là que le missile est tombé. C’est là que près de 50 irakiennes et Irakiens ont été tués par l’explosion, tandis que 60 autres blessés ont été transportés vers des hopitaux, que 13 années de sanctions économiques ont quasiment transformés en Morgue.

J’avais déjà un exemple en tête : l’hôpital El-Mansour pour enfants atteints de Leucémie. La mission médicale, faute de traitement pour soigner les jeunes patients, se limite à réduire la douleur dans l’attente de la mort. La visite de ce lieu a causé le premier choc de mon séjour en Irak. Les médecins m’avaient expliqué « que le traitement pouvant sauver ces enfants contient cinq composants dont l’un est interdit d’importation par l’Irak dans le cadre des sanctions économiques ». Ils m’avaient montré un graphique de l’évolution de la maladie, en m’indiquant parmi les enfants ceux qui n’en avaient plus que quelques jours, quelques semaines ou quelques mois à vivre. J’étais à la fois consternée par le drame de ces enfants, martyres d’une résolution régie par l’ONU pour le compte des États-unis, mais plus encore révoltée par toute cette communauté internationale qui disserte sur les droits de la personne en faisant même semblant d’y croire, occultant grossièrement le sort inhumain réservé à ces enfants irakiens dans ces hôpitaux qui font office de couloir de la mort.


Le carnage d’El-Nasr

Le marché Al-Nasr se trouve dans le district "Echoûla", à environ 40 kilomètres au nord-ouest de Baghdad. Tout est délabré. Habitations aux murs lézardés, couverts de poussière, couleur terre, et souvent inachevées faute de moyens, kiosques bâtis avec n’importe quoi faisant office de magasins, routes en terre, défoncées, avec ça et là quelques pièces d’asphalte, vestige d’un passé moins austère pour les êtres et les infrastructure de la région. Mon conducteur, ne cessait de s’excuser au rythme des secousses brutales que faisait la voiture en se frayant un chemin entre la foule et la voie difficilement praticable pour les voitures irakiennes, vieilles et usées pour la plupart. Dans ce décor où l’absurde et la résignation cohabitent depuis plus de douze ans à l’ombre des sanctions économiques imposées à l’Irak par les puissances occidentales, il n’y a que le sourire et la curiosité des enfants, encore enveloppés d’innocence, qui rendent le monde supportable.

Dans tous les alentours de l’impact, il y avait du sang et des morceaux de chair accrochés aux débris et sur les trottoirs, des lambeaux de vêtements avec du sang séché, une chaussure d’homme par-là, une touffe de cheveux ensanglantée, une sandale de fille par ici. Tout y était pour témoigner de la cruauté des hommes, toujours à son plus haut, à l’aube du 3e millénaire. On ne sort pas indemne de ces images, à moins d’être raciste, xénophobe ou sanguinaire.


Nous avons été trahis

Bassem s’était interposé entre moi et la porte d’entrée de sa famille qui venait de perdre trois membres dans l’explosion, trois frères, Ali Rafel El-Hamdani 19 ans, Hocene Rafel El-Hamdani 17 ans et le cadet, Mohamed Rafel El-Hamdani, 12 ans. Les trois étaient des étudiants.Les 2 plus âgés sortait de la maison au moment de l’impact et le plus jeune était à l’intérieur.

Bassem m’avait vue approcher, puis d’un geste de la main, me fit comprendre qu’il ne voulait pas de photos. J’acquiesçai en lançant : « Salamoualaikoum ». L’expression de son regard changea et je conclus, trop vite et à tort, à un signe en ma faveur. « Je suis d’un pays frère, arabe » ajoutai-je. Et c’est à ce moment-là que Bassem me lança sa terrible réplique : « Il n’y a pas d’Arabes ». J’aurai voulu le contredire en lui parlant, par exemple, des manifestations des populations arabes en solidarité avec le peuple irakien, de ce qu’elles ont subi comme répression de la part des gouvernements arabes qui dénoncent hypocritement l’invasion de l’Irak, tout en se gardant de joindre le moindre geste à leur parole pour ménager leurs liens d’intérêt avec les Etats-Unis, j’aurai voulu lui dire que je ne me reconnaissais pas dans ces régimes qui travaillent contre leurs populations, que j’étais moi-même une exilée aguerrie par leurs méfaits au fil des années. Mais au lieu de tout cela, je ravalai ma colère vis-à-vis des régimes arabes désormais couverts de honte pour avoir livré un des leurs à l’impérialisme américain. Je reprends ma cape de membre de Irak Peace Team Canada pour tenter une autre voie de discussion. Et là, c’est moi qui me sentis mal à l’aise, car je savais que le Canada, au-delà du discours, mi-figue, mi-raisin, concernant sa position quant à sa participation à cette guerre criminelle, était bien impliqué aux côtés des Etats-Unis. Mais Bassem, lui, ne pouvait pas le savoir. Pas plus, Mortad, 30 ans, frère aîné des trois jeunes victimes citées plus haut et qui avait plutôt bonne impression du Canada, convaincu par les énormes manifestations du Québec retransmises par la télévision irakienne.

C’est lui qui vint à mon secours en tentant de m’expliquer ce que Bassem ressentait vis-à-vis des Arabes : « Les Irakiens, souligne Mortad, ont toujours été là pour aider les pays frères. Il me cite, l’Égypte, la Libye, le Liban, la Tunisie et bien d’autres ». De l’Algérie, il me parla avec beaucoup de respect. Il fit notamment référence à la grande guerre de libération menée par le peuple algérien contre le colonialisme français et de la fierté que ce combat inspira auprès des peuples frères. « Tous les Irakiens pensaient que les Arabes s’interposeraient à la guerre. Ils ne comprennent pas qu’on les laisse seuls face à la puissance militaire américano-britannique. C’est injuste et lâche de la part des Arabes », déclare Mortad, tandis que Bassem acquiesça d’un mouvement de la tête avant d’ajouter : « Je leur en veux tout autant sinon plus qu’à Bush et Blair. Ils nous ont trahi ».


La lutte pour la paix ne fait que commencer

Oui, Bessem, vous avez raison. Les Arabes ne figurent que dans les mauvaises statistiques du monde contemporain. Sous la gouvernance de certains dirigeants, despotes, incultes et vaniteux, ils ont perdu le « nif » et ils n’ont plus de « kalma » . C’est tout comme s’ils n’existent pas. L’occupation américano-britannique de l’Irak sans opposition de leur part n’a fait que confirmer leur ineptie devant leur communauté et le reste du monde. Il y’en a même, qui ont interdit ou réprimé les manifestations de solidarité de leurs populations envers le peuple frère irakien, alors que les villes occidentales donnaient l’exemple avec d’énormes manifestations anti-guerre et de solidarité avec l’Irak.

Certes, cela n’a pas empêché les bombes états-uniènnes de détruire l’Irak, mais la démonstration des partisans de la paix en particulier, et de l’opinion publique internationale dans le cadre de cette guerre, augure d’une nouvelle vision de la lutte pour la démocratie et la paix à l’échelle planétaire. La lutte contre la guerre en Irak nous a donné un avant goût de l’ampleur de la chaîne humaine quand elle se met en branle. Une belle leçon pour les faiseurs de la politique mondiale et un gage en faveur de la paix.

Zehira Houfani, membre de l’équipe de paix en Irak Québec (IPT)
www.iraqpeaceteam.org
Écrivaine et Journaliste, auteure de Lettre d’une Musulmane aux Nord-Américaines
www.tourism-algerie.com/z.houfani

Photos : IPT

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